Casino confirme être entré en discussions exclusives avec le numéro trois de la distribution française allié au numéro cinq pour reprendre la branche hypermarchés et supermarchés. Montant du rachat : 1,350 milliard d’euros pour 313 magasins. 

La semaine s’annonce cruciale pour l’avenir du groupe Casino et ses 49 839 salariés. Après trois semaines de suspense, Auchan et Intermarché sont tout près d'emporter la mise pour reprendre la branche des supermarchés et hypermarchés du groupe Casino pour un montant de 1,350 milliard d’euros (hors immobilier). Le groupe Casino confirme dans un communiqué être entré en discussions exclusives avec les deux enseignes. Dans la corbeille, 313 magasins, dont une majorité de supermarchés, pour un montant de 3,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires hors taxes.

L'enjeu de l'emploi en France

Les autres candidats, Lidl en particulier, et E.Leclerc, un temps évoqué pour reprendre des hypermarchés, ou même Carrefour, ont été écartés par le conseil d’administration du groupe Casino et le consortium dirigé par Daniel Kretinsky. Le nombre d’emplois en jeu, près de 20 000 au total, a pesé certainement dans la balance, le duo Auchan-Intermarché pointant le risque de destruction d’emplois si un « discounter allemand » l’emportait. Dans le viseur, Lidl, dont les coûts de personnel sont estimés à 6% du chiffre d’affaires quand ils vont de 10 à 12% chez Auchan et Intermarché. Ces derniers avaient d’ailleurs mesuré le risque de casse sociale en cas de victoire de Lidl : ce serait 3000 à 4000 emplois en moins. Or, le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, avait redit à l’intersyndicale de Casino reçue le 13 décembre à Bercy, toute l’attention sur le volet social qu’il porterait au dossier. Les deux repreneurs potentiels se veulent rassurants sur l'emploi : "l'ensemble des salariés des magasins transférés seraient repris", mentionne le communiqué de Casino. Celui émis par Intermarché et Auchan insiste bien sur un "projet à capitaux 100% français, projet qui renforcerait également la souveraineté alimentaire française et le soutien au monde agricole". Une allusion à l'origine de l'un des fonds d'investissement, SCP, basé à Londres, qui accompagne Lidl, et dont l'un des propriétaires serait, selon La Lettre, un oligarque russe.

Un mariage complémentaire

Le spécialiste des supermarchés s’allie donc au spécialiste des hypermarchés. Le président de la Société les Mousquetaires, Thierry Cotillard, avait commencé ses emplettes dès le 26 mai en s'assurant la reprise de 195 magasins Casino en trois vagues, soit «quinze ans de croissance et 2 points de part de marché ». Le voilà prêt à recommencer. Sachant que dans la corbeille, selon nos informations, aurait été remise au pot la troisième vague des 76 magasins Casino sur lesquels Intermarché avait déjà une option. « Cette fois, nous avons préféré faire une offre globale », explique un proche du dossier, qui rappelle l'échec d'Intermarché lors de la reprise de Leader Price en 2020. «Nous avions candidaté pour 200 magasins mais pas la totalité, et Aldi l'avait emporté.» Pas question de se faire avoir une deuxième fois. Seulement voilà, le format de l'hyper n'intéresse pas forcément Intermarché. «Y aller seul était trop dangereux, abonde une source proche du dossier. Il faut aussi rester sur un ratio d'endettement raisonnable. » Le mariage a priori surprenant s'avère donc plutôt complémentaire.

Répartition du parc sans la Corse pour 1,35 milliard

Les deux nouveaux mariés se sont réparti les magasins. Casino annonce la vente de 313 magasins au total. Petit calcul : Intermarché en a sécurisé 123 lors des deux premières vagues de rachats qu'il a effectué ou sécurisé, les 72 restants de la troisième vague étant remis au pot. 313 moins 123, ce sont donc 190 magasins effectivement concernés par la reprise, soit 80 pour Auchan selon nos informations et 110 pour Intermarché. Même si les deux enseignes ne commentent pas ces chiffres. Casino indique en revanche que l'accord ne concerne pas la Corse et qu'il faudra l'aval des 60 franchisés concernés par le deal. En bon connaisseur des hypers (il en a 119 en France), Auchan reprendrait la quasi-totalité des grands formats Casino, auxquels s’ajoutent quelques supermarchés ; Intermarché se concentre sur les supermarchés et en profite pour reprendre quelques hypermarchés (4 selon nos informations). Montant de l’opération : 1,35 milliard d'euros. Une somme jugée « exorbitante » par un expert, la quasi-totalité des magasins étant vendue sans les murs. « Or, il faudra renégocier des niveaux de loyers très élevés », estime l'expert. Pour rappel, la première vague, 58 magasins devenus des Intermarché depuis le 16 octobre, a été rachetée 209 millions d'euros, soit 0,3 fois le chiffre d'affaires. Pour les supermarchés, la valorisation serait la plus importante, de l'ordre de 50% du chiffre d’affaires. Car, pour le reste, c'est plus compliqué. « Attention, prévient un proche du dossier. Une vingtaine des 52 hypers pissent le sang !» Sur la première vague des 58 magasins cédés à Intermarché, les dix hypers affichaient un CA moyen de 25 millions d'euros annuels, soit la moitié des standards de la profession. Il n'en reste pas moins que selon d'autres experts, les lois environnement limitent très fortement les ouvertures de magasins, d'où cette appétence pour les achats de m²...

Un joli coup

Toujours est-il que la victoire d’Auchan-Intermarché reste un joli coup. Le premier concrétise enfin une alliance, après trois tentatives avortées. Peu endetté, le groupe estime avoir les coudées franches, d'autant que Philippe Brochard, directeur général d'Auchan France, peut se féliciter d'une hausse des ventes de ses 119 hypers en 2022 (+2,4 % en comparable). L’apport de nouveaux magasins va lui permettre de ne pas rester en queue de peloton en termes de part de marché (8,6%, -0,3 point à fin novembre 2023 selon Kantar) et surtout de ne pas manquer une rare opportunité de reprendre des magasins. Le projet d'alliance d'Auchan aux achats avec Auxo, qui n’est autre que la centrale conjointe d’Intermarché et de Casino, va prendre tout son sens. Pour Intermarché, c’est un peu la cerise sur le gâteau, cette centaine de magasins s’ajoutant aux 123 déjà repris.

Encore beaucoup de questions

Dans le périmètre de l'opération, "certains actifs immobiliers pourraient faire partie du périmètre", note le communiqué. Il reste un grand nombre de questions en suspens, au grand dam de l’intersyndicale. Quid des soixante franchisés et de la Corse, où Casino détient une position de force? Quid des douze entrepôts et des 2000 salariés qui y travaillent ? On voit mal comment Auchan et Intermarché pourraient tous les garder. Quid de la proximité (6392 magasins, 1,52 milliard d'euros de chiffre d'affaires), sur laquelle Carrefour s'est positionnée ce week-end, mais que Casino affirme ne pas vouloir vendre? Nul ne sait encore à quoi ressemblera le groupe Casino en 2024. Ce qui est sûr, c'est que cet accord signe l'échec de Lidl, en mal de croissance en France, et laisse de côté Carrefour et E.Leclerc, un temps pressentis également. Le projet de rachat du tandem Auchan-Intermarché devra encore recevoir l'approbation des Autorités de la Concurrence dans les prochains mois. Il se fixe le premier trimestre 2024 pour y arriver, sachant que la procédure de sauvegarde accélérée de Casino se terminera le 25 février 2024. 

Magali Picard