Un bel avenir promis au drive piéton

Rédigé le 28/08/2020


Les intervenants de la première web conférence de LSA, consacrée au drive piéton, qui s’est tenue début juillet à Paris, sont unanimes : ce mode de distribution, même s’il est encore en réglage, est promis à un bel avenir après un confinement qui a permis de sortir ce nouveau « geste d’achat » de l’anonymat. Leurs constats et leurs analyses.

Puis-je vous offrir un café, une gourmandise pour vos enfants ? » Depuis quelques semaines, les clients de la dizaine de drives piéton solos (qui ne dépendent pas d’un magasin) déployés par Carrefour dans Paris se voient proposer un petit geste d’accueil par le personnel, le temps que leur commande leur soit remise. Anodine en apparence, l’initiative en dit long sur l’attention portée à cette nouvelle façon de faire ses courses, qui consiste à aller récupérer à quelques pas de chez soi les articles commandés sur les sites de Carrefour ou d’E. Leclerc, enseignes qui préemptent aujourd’hui largement ce nouveau mode de vente.

Conserver la clientèle récemment conquise

Beaucoup de Français ont découvert ce nouveau service en pleine crise sanitaire, au cœur du confinement, quand faire ses courses pouvait paraître une épreuve. Pas forcément dans les conditions idéales d’ailleurs. Saturés, certains sites de retrait étaient encombrés de caisses, de nombreuses commandes ont été livrées incomplètes, sans compter l’attente qui s’est révélée parfois très fastidieuse. « Nous sommes passés de 4 000 à 6 500 commandes par semaine à Paris, témoigne Mathieu Ricou, directeur opérationnel Île-de-France de Carrefour Proximité et responsable de l’exploitation de ce nouveau format, qui ouvrait la web conférence que LSA a consacrée au phénomène du drive piéton le 1er juillet. Cette montée en charge de plus de 50 % a mis à rude épreuve notre plate-forme de préparation de commandes (PPC) de Pantin. » Pas étonnant, dès lors, que l’enseigne multiplie les gestes d’attention pour conserver une partie de la clientèle conquise pendant les deux mois de confinement.

Car la crise sanitaire a agi comme un révélateur et un accélérateur pour ce nouveau circuit. « Les chiffres d’affaires commencent à être au rendez-vous, confirme Daniel Ducrocq, directeur du service distribution de Nielsen, qui s’appuie sur un panel de 200 drives piéton (hors Spar et casiers) selon lequel les ventes hebdomadaires moyennes sont passées de 7 000 € par unité à 11 500 € durant le confinement, puis à 8 700 € ensuite. Soit un chiffre d’affaires moyen annuel par drive de 400 000 à 500 000 €, mais avec des disparités énormes. Les meilleurs d’entre eux tournant déjà à près de 2 millions d’euros de CA annuel, soit jusqu’à 6 % des ventes du magasin accolé. De quoi être optimiste : « Au vu des projets des uns et des autres, notamment de U et d’Intermarché en plus d’E. Leclerc et Carrefour, il est très probable que le parc double d’ici à un an et que les ventes dépassent les 500 millions d’euros dès la fin d’année ou début 2021, soit un niveau assez proche du marché de la livraison à domicile. »

Un maillage encore très lâche

Le parc est en effet encore très limité en France, cantonné à la capitale et à quelques grandes villes. Nielsen, qui a une approche très large de ce marché et y intègre les simples points de click & collect des magasins de centre-ville sans parking, chiffre à 610 le nombre de drives piéton en France. Selon nous, il tutoie à peine les 200 unités, dont 130 pour Carrefour et une cinquantaine pour E. Leclerc Relais. Mais dans les deux cas, le maillage reste très lâche. Si, à Paris, plus d’un foyer sur trois habite à moins de cinq minutes à pied d’un drive piéton, dans les 15 plus gros hypercentres français, ce chiffre descend à 15 %, relève Nielsen. C’est dire le potentiel de croissance de ce format, qui devrait en plus profiter des fermetures probables de nombreuses petites boutiques en centre-ville pour trouver des locaux bien placés et pas chers.

Frédéric Valette, directeur du département retail de Kantar, parie, lui aussi, sur un développement très rapide de ce marché, qu’il estime aujourd’hui à 290 millions d’euros de chiffre d’affaires en année pleine. « Pendant le confinement, toutes les quatre semaines, plus de 300 000 foyers ont acheté en drive piéton et ça s’est accéléré au fil du temps. » Au total, au cours des douze derniers mois, 670 000 foyers ont fréquenté ce circuit. Un chiffre qui pourrait au moins doubler d’ici à la fin de l’année estime l’expert : 675 000 clients qui ont un drive piéton accessible à proximité de chez eux comptent le fréquenter dans les prochains mois (hypothèse basse) et 2,5 millions déclarent qu’ils le feront probablement (hypothèse haute). « Le format piéton fait aussi bien que le drive voiture il y a dix ans, à ses débuts, observe Frédéric Valette, avec un taux de fidélité de 15 % et un niveau de réachat légèrement supérieur (70 % contre 65 %), ce qui laisse penser que, si le développement du parc se poursuit, la clientèle devrait revenir et être fidèle. » Or le développement n’est pas près de ralentir. Même Carrefour, qui estime « avoir saturé la capitale » avec 88 drives piéton installés intra-muros en un peu plus d’un an, ne compte pas s’arrêter là. L’enseigne vise désormais la ceinture parisienne et des villes comme Bordeaux, Marseille, ­Toulouse ou Lille, en plus de Lyon et Grenoble où elle compte déjà quelques unités.

Le délicat partage des marchés

Cette nouvelle manne n’a d’ailleurs pas ­échappé aux industriels car ce nouveau format a en plus l’avantage d’intéresser beaucoup de jeunes foyers urbains plutôt aisés, cible qu’ils rêvent de recruter et de fidéliser. Damien Lallié, directeur digital de Panzani, travaille sur « l’hypothèse d’un quadruplement de la quote-part du drive piéton pour le groupe d’ici à 2022 ».

Mais tout n’est pas rose pour autant. Un exemple : pensés comme un complément des courses pour les magasins urbains auxquels ils viennent s’adosser dans certains cas, les drives piéton se révèlent dans les faits plutôt concurrents. Dans le cas d’E. Leclerc, c’est particulièrement net. Selon Nielsen, les magasins exposés (moins de 200 m) aux 11 drives piéton E. Leclerc Relais parisiens subissent une forte décroissance de leurs ventes hebdomadaires depuis la sortie du confinement (- 8 % versus - 2 % en situation standard).

Chez Carrefour, on reconnaît pudiquement que cette question de la mixité des achats avec les magasins de l’enseigne (surtout détenus par des franchisés) « est l’un des challenges qui est ressorti de la période Covid ». Car si 74% des clients qui viennent dans les drives piéton de Carrefour City ne fréquentaient pas ces magasins auparavant, seuls 18 % y font des achats complémentaires. « Il faut arriver à proposer un mix de marge équilibré et des marchés mieux partagés, souligne Mathieu Ricou, en aiguillonnant le consommateur pour qu’il sache que, sur place, il pourra continuer son parcours d’achat. Même chose pour l’offre, où nous nous demandons si nous ne sommes pas allés trop loin avec 15 000 références d’articles – ce qui se révèle très complexe et peut générer des déceptions en cas de ruptures –, alors que nos concurrents en proposent 9 à 10 000. »

De quoi poser évidemment la question de la rentabilité du modèle. « C’est un format de conquête avant tout. L’ambition est d’être au point mort, ce qui est déjà considérable par rapport à l’incrémental que cette activité peut générer sur les magasins accolés », indique Mathieu Ricou. De son côté, Manuel Berquet, directeur du commerce digital de Coca-Cola Company Europe, fonde beaucoup d’espoir sur ce nouveau circuit : « Le drive piéton est loin de son point haut. L’offre est en construction, beaucoup de retailers vont encore y venir et il y a un problème de positionnement avec la proximité, ce qui réclame de repenser l’assortiment, l’exécution et les services en associant de beaucoup plus près les industriels et en leur ouvrant les datas. » Si même Coca-Cola se penche sur le sujet et propose ses services, c’est que le jeu en vaut certainement la chandelle. 

Les chiffres 

1,5 à 2 millions d'€ : le CA des meilleurs drives piéton
29 % des nouveaux fréquentants pendant le confinement pensent continuer à y aller après
Source : Nielsen et Kantar

Un parc qui fait débat, une croissance incontestable

Pour évaluer le parc des drives piéton en France, Nielsen a privilégié une approche consommateur, chiffrant à 610 le nombre de points de retrait de courses alimentaires effectuées en ligne proposés par des magasins urbains ne disposant pas de parking. D’où la présence inattendue à la tête de ce classement de Spar. Mais si on se limite aux seuls points de retrait dont les commandes ont été préparées dans des plates-formes dédiées avant d’être acheminées en magasins, le parc se réduit à environ 200 unités, essentiellement des Carrefour et des E. Leclerc Relais. Selon Nielsen, parmi ces 200 unités, un drive piéton moyen générerait entre 500 000 et 600 000 € de CA par an (3 % du CA magasin), mais plus de 2 millions d’euros et 6 % des ventes pour les meilleurs.

 

 

 

 

Le client type, un jeune couple avec un enfant

Jeunes, urbains, assez aisés, vivant dans des foyers de taille plutôt réduite, tel est le portrait-robot du client des drives piéton selon Kantar, qui prévoit un doublement du nombre de clients dès la fin de l’année, à 1,3 million de foyers.

La clientèle de millennials des drives piéton intéresse tout particulièrement les industriels. Les responsables de Findus, Panzani et Coca-Cola invités à témoigner réclament tous un meilleur accès aux datas et plus de collaboration avec les distributeurs pour optimiser, voire personnaliser, l’offre, les promotions et les autres actions de trade marketing des drives piéton.

Répartition des clients des drives piéton par taille du foyer, en %, et comparaison avec la population française

 

 

8,4 actes d’achat par an
53 € : le panier moyen
440 € : le budget annuel moyen
25 % des foyers clients du drive piéton ne sont pas motorisés (deux fois la moyenne française)
Source : Kantar

Plébiscité pour sa praticité plutôt que pour les prix

Beaucoup plus que les prix ou l’offre large, qui sont pourtant systématiquement mis en avant par E. Leclerc et Carrefour comme arguments majeurs, ce sont la praticité, la souplesse et les gains de temps que les consommateurs plébiscitent dans les drives piéton. Des aspérités à sans doute mieux valoriser à l’avenir.

 

Pour quelle(s) raison(s) faites-vous vos courses en drive Piéton plutôt que dans un magasin classique ? (Plusieurs réponses possibles)

JÉRÔME PARIGI