Présidentielle 2022 : séduire et fidéliser les salariés

Rédigé le 15/04/2022


La pandémie laissera des traces sur l’emploi : les salariés savent désormais ce qu’ils veulent et ne veulent plus. La grande distribution ne lésine pas sur les moyens pour les attirer et les garder. Et compte sur le (ou la) futur(e) Président(e) pour répondre à ses attentes.

Souvenez-vous : il y a deux ans, dans une France sous cloche, deux lignes de front restaient ouvertes, celles des soignants et celle des travailleurs de l’ombre. Celles et ceux qui embauchent à l’usine tôt, finissent dans les grandes surfaces tard, empaquettent ou livrent les colis... Cette année-là, en 2020, la grande distribution ne rencontre pas de difficultés de recrutement. Les saisonniers du tourisme ou de la restauration vont taper à sa porte, les étudiants se ruent sur les jobs d’été après des mois enfermés dans leur chambre. « Nous avons fait face à un afflux de candidatures », confirme Anne Broches, directrice exécutive des ressources humaines de Lidl.

Devenus visibles pendant un temps, les salariés de la grande distribution ont même droit à des applaudissements nourris à Bercy, le 1er décembre 2021, venant d’un parterre de professionnels réunis aux Assises du commerce par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, pour réfléchir aux enjeux de demain. Las ! En 2021, à la sortie de trois confinements, et alors que certains salariés regagnent leur secteur d’origine, le commerce est confronté de nouveau à une série d’obstacles pour embaucher. « Un atterrissage brutal. Nous avons alors connu une situation pénurique », reconnaît Anne Broches. Loin cependant de la « Grande démission » aux États-Unis. « La situation s’améliore depuis quelque temps, mais le marché reste assez tendu, car ce sont des métiers exigeants. C’est notamment le cas pour ceux de bouche et pour l’encadrement », ajoute Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), qui représente 700 000 salariés de l’alimentaire.

Parmi les 1 000 postes en alternance proposés par E. Leclerc pour 2022, un tiers porte sur les bouchers, poissonniers ou boulangers. Mais travailler le week-end ou tard le soir ne va plus de soi… surtout lorsque le pays jouit d’une situation de quasi-plein-emploi et que le télétravail a gagné nombre de secteurs. Sans compter un taux de chômage à son plus bas niveau... depuis 1981 (7,4 % au quatrième trimestre 2021, selon le Bureau international du travail).

La question des salaires au centre

Dans ces conditions, le premier employeur de France qu’est le commerce a fort à faire. Et alors que les anciens candidats à la présidentielle concentraient leurs propositions sur une hausse des salaires assortie, ou non, d’une baisse des cotisations salariales, le sujet de l’emploi apparaissait peu dans leurs priorités. Toutes et tous s’enhardissaient à relever le seuil du salaire minimum (aujourd’hui à 1 300 euros net) : de 1 400 euros net pour Jean-Luc Mélenchon à 1 500 euros pour Fabien Roussel et Yannick Jadot. Valérie Pécresse, elle, proposait d’augmenter de 10 % les salaires jusqu’à 2,2 Smic. Marine Le Pen, en lice pour le deuxième tour, veut exonérer de cotisations patronales les entreprises qui augmentent les salaires jusqu’à 10 %. Dans un contexte inflationniste, la question des salaires polarise l’attention. Un Michel-Édouard Leclerc prône également une hausse des salaires, mais qui serait déchargée des cotisations sociales avec un transfert de la fiscalité vers la TVA : « Il faut une TVA sociale et écologique détachée des ­salaires. » Un débat qui dure depuis trente ans. Sur un ­marché où recruter s’avère plus ­compliqué, les ­salaires deviennent un prérequis. Lidl se targue de proposer des salaires de départ 16 % au-dessus du Smic, Carrefour augmentera les siens de 3,8 % cette année, et chez E. Leclerc, les adhérents sont censés verser 25 % de leur résultat aux salariés. À Templeuve par exemple, dans le Nord, où le magasin dégage 400 000 euros de résultat en 2021, les 380 salariés ont droit à 1 000 euros, qui s’ajoutent au 13e mois et à une remise sur achats de 10 %.

De leur côté, les professionnels sur le terrain sont bien obligés de s’adapter à la nouvelle donne. Une majorité des enseignes prennent conscience de la nécessité de montrer la diversité des métiers et s’aventurent sur des formats de recrutement qu’elles n’utilisaient pas forcément jusqu’alors. Comme les centres E. Leclerc qui ont organisé un job dating dans plus de 400 magasins et six entrepôts le 19 mars, ou Lidl qui a opté pour une campagne télé de trois semaines vantant les avantages maison. « Les candidats recherchent autre chose que la stabilité de l’emploi. Ils ont besoin d’adhérer au projet de l’entreprise », note Anne Broches. D’où ce parti pris du petit écran montrant des proches des salariés parlant de l’emploi chez Lidl.

Le CV comme frein

Chez Fnac Darty, où les besoins portent sur la data, la livraison et la réparation, il faut se montrer inventifs. « Sur les métiers du numérique, la demande est supérieure à l’offre et il existe un déficit de compétences, explique Tiffany Foucault, DRH de Fnac Darty. L’enjeu est de former très vite, notamment des gens en reconversion pour les remettre sur ces métiers très porteurs. » Le groupe a créé une Digital Factory dès 2018-2019 pour pouvoir les recruter sur des process d’une journée et les former (en neuf mois). « Il faut multiplier les dispositifs et innover en permanence, conclut-elle. On sait que sur certains métiers pénuriques, le CV est un vrai frein. » Fnac ­Darty s’est fixé pour objectif de recruter 500 réparateurs dans les trois prochaines années.

Pour le reste, le secteur de la distribution, traditionnellement gros employeur de jeunes en alternance, entend bien continuer à pouvoir bénéficier de ce système. « Nous avons signé 38000 nouveaux contrats en alternance en 2021, précise Jacques Creyssel, de la FCD. Nous voulons continuer à être le premier secteur dans ce domaine. Et pour cela, il faut pérenniser les incitations financières. » Lidl offre, en ce moment, 600 postes en alternance, E. Leclerc un millier et Carrefour a embauché 15 000 jeunes l’an dernier, dont la moitié est issue des quartiers prioritaires de la politique de la ville. D’où l’impérieuse nécessité de continuer cette stratégie dynamique de l’alternance.

Les professionnels attendent aussi une simplification des politiques de formation. « Les dispositifs d’apprentissage restent complexes, avec beaucoup de critères et de conditions, estime Tiffany Foucault. De même, il faudrait simplifier l’accès à Pôle Emploi : c’est très difficile d’avoir un point central, nous avons autant d’interlocuteurs que de régions. » Anne Broches souhaite, elle, « fluidifier» le marché de l’apprentissage et essayer de récupérer les populations les plus éloignées de l’emploi. Un défi de taille, à la hauteur de l’enjeu sociétal du sujet. 

MAGALI PICARD