Pour Carrefour, "la livraison à domicile n’est plus un marché de niche"

Rédigé le 02/01/2023


Dans cette interview, Mourad Bensadik, directeur e-commerce & Opérations e-commerce groupe chez Carrefour, explique à LSA la stratégie du distributeur dans l'e-commerce. Et pour lui, «la livraison à domicile n’est plus un marché de niche ».

En Île-de-France, quels sont vos objectifs en matière de livraison à domicile ?

Nous avons un bassin de consommation qui est très vaste ! Notre volonté est de pouvoir offrir à chacun de nos clients une zone de chalandise avec tous les services possibles, sans aucune contrainte : une offre drive sur l'ensemble du périmètre, mais aussi une offre de livraison à domicile avec toutes ses déclinaisons. A travers ce dispositif, l’objectif est de laisser le choix au client : de H+1 au J+2, et ce afin de ne jamais les mettre sous contrainte grâce à notre capacité de préparation de commandes. Nous visons 10 000 commandes par jour en Ile-de-France. Et s’il faut aller plus loin encore parce qu’il y a une appétence clients, nous accélèrerons encore davantage. Pour y parvenir, nous avons ouvert cette année cinq sites en France. Cela répond à notre objectif de toujours être au plus proche des besoins de nos clients.

Quels sont ces cinq sites ?

Nous venons d’ouvrir le site de Rungis dont la spécificité est de proposer une offre extrêmement large grâce à 15 000 références. Aix-en-Provence, que nous avons inauguré en 2022, nous permet de proposer localement de la livraison en H+ 1 , H+2 ou plus, pour répondre au besoin des consommateurs locaux. A proximité, nous avons également ouvert Antibes, qui permet de répondre à un besoin local en livraison à domicile, Nantes et enfin un mini entrepôt à Pontault-Combault. Dans quelques semaines, nous lancerons un nouveau site logistique dans le nord de la France.

Et combien comptez-vous de sites en Ile-de-France?

Nous comptons cinq sites en tout. Par activité, nous disposons de deux sites historiquement totalement dédiés au drive. A Aulnay-sous-Bois, il s’agit d’un site mécanisé que nous avons adapté pendant le COVID pour qu'il puisse proposer également de la livraison à domicile. Ensuite, nous avons le Plessis-Pâté, au sud de Paris, comme pour Aulnay, c’est un site spécialisé et robotisé (avec l’équipementier Exotec), à l’origine dédié au drive, mais que nous avons rendu polyvalent pour répondre à la demande de LAD pendant le COVID. Ces deux sites sont donc aujourd’hui tous deux polyvalents. En complément, nous avons un site à Villeneuve-La-Garenne qui est dédié à la livraison à domicile. Au sud de Paris, celui de Vitry-sur-Seine est lui également dédié à la livraison à domicile. Enfin, nous comptons un cinquième entrepôt à Rungis non mécanisé et dédié à la livraison à domicile. Ces 5 sites nous permettent d’avoir un bon maillage et une belle densité pour répondre aux besoins des clients franciliens.

Les industriels ne livrent pas directement ces plateformes …

C’est un parti pris de longue date. Nous considérons qu'une plateforme e-commerce fonctionne comme un très grand magasin. Nous demandons donc à nos entrepôts amont, ceux dédiés aux magasins, de consolider les flux. Par exemple, pour vendre en e-commerce une soupe de marque X, si le taux de rotation de cette référence n’est pas conséquent, il n’est pas possible de commander à l'industriel une quantité inférieure à une palette entière pour obtenir de bonnes conditions économiques. Ce que peut faire l'entrepôt amont… Cette organisation permet de réaliser des économies tout en gardant un référentiel extrêmement large.

L’assortiment est-il le même sur tous vos entrepôts e-commerce?

Nous essayons d’avoir des assortiments miroir. Ce n’est pas toujours aisé puisque les configurations des sites ne sont pas les mêmes et certains ont un référentiel un peu plus large que d’autres. En revanche, nous essayons d'avoir ce que nous appelons chez Carrefour des bannières. Celles-ci nous permettent d'avoir un référentiel identique avec un tronc commun et des spécificités communes ce qui permet de répondre à un besoin global de nos clients. Elles sont ensuite adaptées à la marge pour intégrer les spécificités régionales, les demandes de produits locaux.

Pensez-vous avoir trouvé un modèle économique ?

Sur nos modèles de livraison à domicile, compte tenu de la densité, nous améliorons sans cesse notre rentabilité. Très peu d’acteurs sont pour l’instant rentables sur l’ensemble de leurs modèles.Sur la livraison à domicile grâce à l’offre que nous avons mis en place, nous arrivons à obtenir des modèles économiques très pertinents pour nous, d'où cette volonté de croître significativement sur ces modèles en entrepôts, qui nous apportent de la densité, une productivité industrielle avec des coûts de distribution qui sont acceptables.

Quelle est la bonne taille de l'assortiment ?

Des acteurs peuvent avoir jusqu’à 40 000 références sur l’alimentaire. Ce n’est pas notre parti pris. Nous considérons qu’un assortiment autour de 15 000 références a plus de sens. Entre 13 000 et 15 000 références, c’est l’assortiment idéal sans pour autant offrir de références qui ne tournent pas ou sont susceptibles de générer de la “casse”.

Vos sites sont très différents avec de l’automatisation, de la mécanisation ou du traditionnel ? Comment se font les choix ?

Les choix se font de manière à accompagner la croissance et la volumétrie. Dans notre stratégie d'expansion, lorsque nous cherchons à développer une zone, nous le faisons via le réseau de magasins, à qui nous demandons de préparer des commandes drive et/ou des commandes livraison à domicile. Cela entraîne une hausse de la volumétrie du magasin parce qu'il y a l'appétence de la part des clients, de l'attrait pour l’e-commerce. Dès que le magasin arrive à un seuil, autour de 150 commandes par jour, il n'est plus en capacité d'accompagner sereinement sa croissance. Nous accompagnons donc à l’hypermarché en question à réserver une surface, un mini entrepôt. Il peut ainsi doubler sa capacité. Nous comptons déjà 19 darkstores. Une fois que nous avons capté la part de marché locale et que la volumétrie reste en croissance, nous décidons alors d’implanter un entrepôt manuel, qui poursuit et accompagne la croissance. Lorsque nous atteignons la capacité maximale de l'entrepôt, nous envisageons une nouvelle fois d’autres solutions, par exemple avec de la robotisation ou de la mécanisation. Aujourd’hui, quatre darkstores en hypermarchés sont robotisés. Ils sont situés à Reims, Mondeville et à Toulouse (2). Nous comptons également 3 entrepôts dont deux sont mécanisés et un robotisé. Nous sommes dans une logique progressive d’accompagnement de la demande et donc de la croissance.

Tous les hypermarchés n’auront-ils pas à terme leur darkstore?

C’est une alchimie intéressante à creuser. Mais il n'y a pas une réponse systématique : le bassin, la localisation de l'hypermarché, la pénétration de l’e-commerce dans la zone de chalandise sont autant de paramètres qui doivent être pris en considération. J'ai quelques magasins en tête dans lesquels j'aurais aimé mettre en place un darkstore. Mais le magasin a une telle volumétrie de ventes, une telle croissance qu’il n’est pas en capacité de mettre en place des réserves suffisantes pour implanter un darkstore in situ. Il faut aussi tenir compte de cette contrainte.

Combien faut-il de place pour un darkstore ?

Entre 1 600 et 2 000 m².

Les Français sont-ils prêts à payer le prix de la livraison ?

Compte tenu de la croissance de ce que nous faisons, j’ai le sentiment que oui, il s'agit d’un service plébiscité, recherché et attendu de nos clients. L’accueil de notre offre est très favorable. Il est vrai que nous mettons des seuils, 3 précisément. A partir de 150 euros, la livraison est gratuite, d’ailleurs une majorité de paniers dépassent cette somme, ce qui prouve qu’il y a bel et bien une sensibilité à ce seuil de livraison gratuite. Nous demandons une participation aux clients dès lors que la commande se situe entre 50 et 100 € (7,90 €), puis elle passe à 4,90€ pour une commande comprise entre 100 et 150€.

Que pensez-vous du débat sur la fin du prix unique ?

Je pense que c'est important d'accompagner le client dans ce type de schéma, et de lui apporter de la transparence. C’est ce que nous faisons au travers de l'ensemble de nos parcours client. Ensuite, il est important d’expliquer aux clients qu’il y a un service rendu à chacune des étapes. Lorsque le client va faire ses courses en magasin, le service rendu diffère de lorsqu’il récupère ses produits en drive et encore plus avec la LAD. Pédagogie et accompagnement du client sont nos maîtres mots.

Les Franchisés ne sont-ils pas inquiets que l’e-commerce leur « vole » des clients de leur zone de chalandise ?

Le client n’appartient à personne. Il décide. Nos partenaires franchisés sont très attentifs à la croissance de leur magasin. Dès lors qu’ils comprennent le business model, ils perçoivent l'intérêt de se lancer dans l’activité. Parce que l’e-commerce nourrit le off-line et que le magasin nourrit le on-line. Donc très vite, ils demandent à proposer les services e-commerce. Six mois après l’ouverture de leur magasin, les franchisés demandent très rapidement à avoir accès à un maximum de services (drive, livraison à domicile, livraison via Uber eats…) pour être en mesure d’offrir un éventail de services à leurs clients.

La LAD est-elle encore un marché de niche?

La livraison à domicile n’est plus un marché de niche. Elle pèse 20% de l’e-commerce alimentaire au global en France (et un légèrement plus chez Carrefour) ce qui est déjà très important. Il faut faire plus de pédagogie auprès de nos clients pour leur faire connaître ce service.

Qu'est-ce qui vous permet de dire que vous êtes le leader ?

Ce sont les panelistes GSA qui le disent. Selon ces derniers, notre part de marché est au-dessus de 33%. Ce qui nous conforte dans l’idée que notre stratégie est la bonne !

Yves Puget