Carrefour compte bien participer à la consolidation en cours en reprenant Cora pour 1,05 milliard d'euros. Un joli coup financier et stratégique, non dénué de quelques risques. Analyse.

Après Casino, c'est au tour de Carrefour d'entrer dans la danse, suivi plus modestement d'E. Leclerc. Le 12 juillet, le premier annonce avoir signé un accord pour reprendre les activités France du groupe belge Louis Delhaize. À savoir, 60 hypermarchés Cora et 115 supermarchés Match, les autres enseignes comme Truffaut ou Delitraiteur et le site Houra.fr restant en dehors du deal. Soit un apport de 5,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 189 millions d'euros d'Ebitda et 2,4 % de part de marché. Montant de l'opération : 1,05 milliard d'euros. Le 20 juillet, c'est autour d'E. Leclerc de racheter les enseignes de Louis Delhaize au Luxembourg, deux hypers, 25 supermarchés et des magasins de proximité.

Carrefour s'y sera repris à quatre fois. En 2018, le distributeur aux 42 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans l'Hexagone avait tenté de mettre la main sur Casino; deux ans plus tard, l'OPA du canadien Couche-Tard échoue; enfin, en 2021, un projet de rapprochement avec Auchan ne vient pas à son terme. La quatrième fut donc la bonne. Pour ces nouveaux mariés, il devenait urgent d'agir. Les fils des frères Philippe et Jacques Bouriez, fondateurs de Cora, voulaient vendre. En cinq ans, la part de marché de Louis Delhaize en France s'est effritée de 2,8 % à 2,5 % selon Kantar Worldpanel. Le tempo est le bon puisque cela correspond à leur volonté de se désengager de la distribution et d'alléger, au passage, une dette dont on ne connaît pas le montant. Après la cession de 10 hypers Cora en Roumanie, déjà à Carrefour, au printemps, puis la France et le Luxembourg, il ne reste que la branche belge.

Côté Carrefour, Alexandre Bompard, le PDG, ne pouvait plus attendre et laisser le Mouvement E. Leclerc continuer de faire la course en tête. En cinq ans, celui-ci a gagné 1,4 point de part de marché, passant de 21,4 % à 22,8 % au 9 juillet 2023, quand Carrefour doit se contenter de 0,2 point, de 19,8 % à 20 %. Pis, le coup d'éclat d'Intermarché reprenant 180 magasins Casino dans les trois ans à venir risquait de le reléguer à la place de numéro trois de la distribution en France. Un joli coup stratégique, donc, de la part du numéro deux de la distribution française, jugé malgré tout sévèrement par la Bourse le lendemain de l'opération, le titre ne gagnant que 1 % à l'ouverture le 13 juillet.

Synergies potentielles intéressantes

« C'est un deal extrêmement défensif, fait à défaut, juge Clément Genelot, analyste chez Bryan, Garnier & Co. Carrefour a pris le seul actif à vendre pour préserver son pouvoir de négociation avec les fournisseurs et par peur de voir E. Leclerc le distancer de manière pérenne. Mais il ne fait que se renforcer sur un format déjà compliqué, l'hypermarché. » Pourtant, le prix payé - 1,05 milliard d'euros -, n'est pas très élevé aux yeux des experts. « La valorisation financière est attractive, estime Nicolas Champ, analyste pour le retail chez Barclays. Le multiple de 5,3 fois l'Ebitda est inférieur à la moyenne du secteur en Europe. » « Carrefour paie Cora 0,2 fois les ventes, ce n'est pas très cher pour des hypers rentables », reconnaît Clément Genelot. De fait, les hypermarchés Cora dégagent un Ebitda de 132 millions d'euros et les Match de 57 millions d'euros. Carrefour s'empare aussi des murs de 55 hypers et de 77 supers et des galeries marchandes : sa foncière Carmila reprend 93 % des actions de Galimmo, à la tête des 52 petits centres commerciaux développés autour des magasins Cora. Là aussi, le prix payé (294 millions d'euros) apparaît attractif.

Surtout, les synergies pourraient s'avérer intéressantes. Carrefour les évalue à 110 millions d'euros d'ici à trois ans, la moitié étant issue de « l'optimisation de la performance commerciale », l'autre de la « mutualisation des coûts ». En dépit d'exemples de mariages ratés, Nicolas Champ croit à cette projection : « Cora va apporter 14 % de chiffre d'affaires supplémentaires et 16 % d'Ebitda de plus après les synergies. » Mieux, selon ses calculs, Carrefour n'aura pas de mal à améliorer les performances des magasins Cora, sachant que son CA au mètre carré est 47 % supérieur et celui de ses supermarchés 26 % de plus que Match : « Carrefour va apporter un gros levier d'amélioration. » Reste une inconnue de taille : la greffe va-t-elle prendre sur le plan humain ? Chez Cora, les directeurs de magasins sont réputés pour être très autonomes. Or ce rachat pourrait aussi permettre à Carrefour d'accélérer sa conversion vers la franchise, à moindres frais. Et comment garder trois sièges ? Que va devenir la centrale d'achats de Cora, Provera ? Et Cora Informatique ? Les salariés (24 000 au total pour Cora-Match) ne connaîtront leur sort que dans quelques mois. L'autre question concerne le verdict de l'Autorité de la concurrence. La mise en œuvre effective de ce mariage est attendue pour l'été 2024.

Magali Picard