Inflation des produits de grande consommation : quel impact sur les MDD ?

Rédigé le 18/05/2022


Avec une inflation des produits de grande consommation aux alentours de 3 % et alors que la barre des 5 % pourrait être rapidement franchie, les Français opèrent-ils des arbitrages drastiques en faveur des MDD en général, et des premiers prix en particulier ? Pour le savoir, LSA a interrogé des panélistes et des experts.

« Il y a une vraie bascule des consommateurs vers les produits premiers prix », déclarait Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), le 29 avril sur France Info. Même son de cloche du côté de Dominique Schelcher, le président de Système U. À la question « que conseillez-vous aux clients qui souhaitent limiter leur addition ? » , il a répondu au quotidien Le Parisien : « Avoir le réflexe premiers prix et surtout marques de distributeurs : la demande est d’ailleurs forte et nous avons dû ajuster nos commandes. »

Mais qu’en est-il réellement ? Les Français se sont-ils précipités sur les MDD depuis les premières tensions sur le blé et le prix des pâtes en août 2021 ? La réponse n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. En 2020, les MDD avaient su répondre aux besoins des shoppers pendant la première phase de la crise sanitaire. Lors de la période de stockage, début mars, et surtout au moment du confinement, elles ont enregistré un pic de leur poids en chiffre d’affaires au sein des PGC. En revanche, à partir du deuxième semestre, leur part de marché a reculé. En 2021, cette tendance baissière s’est accentuée et les marques propres ont été moins bien orientées que les marques nationales. Les MDD thématiques, très dynamiques jusqu’en 2020, ont également subi une décroissance, entraînée par les mauvaises performances du bio. La chute des ventes de masques expliquant, quant à elle, une large partie du recul des premiers prix.

Résultat, en 2021, les difficultés rencontrées par les MDD ont été transversales. Leur poids a diminué dans tous les rayons et dans 62 % des catégories, avec une régression dans tous les formats de magasins. Leur part d’offre se contractant nettement en e-commerce alimentaire et en proximité au profit des marques nationales. Et en hypers et supermarchés, elles pâtissent toujours d’une place plus importante réservée aux PME. Or lorsque l’espace qui leur est ­accordé se rétrécit, leur poids dans la catégorie se tasse. Cette baisse de visibilité en rayons se cumule à un soutien promo bien moins important que celui accordé aux marques nationales (indice 52) et à une efficacité de leurs actions en deçà. En conséquence, « dans cette période anxiogène, les Français se sont reportés sur les marques nationales qui avaient clairement le vent en poupe », explique Gaëlle Le Floch, strategic insight director de Kantar. Mais qu’en est-il au premier trimestre 2022, avec l’inflation qui s’installe ? Pour Iri, la position des MDD diminue dans tous les circuits, à l’exception des supermarchés où leur poids progresse légèrement. Hors EDMP, les MDD perdent 1,4 % de CA. Mais avec un fort recul des « thématiques » (- 4,7 %) et un bond des premiers prix (+ 7,7 %).

L’entrée de gamme en bonne forme

Quant au mois de mars précisément, il semble bel et bien démontrer un changement d’orientation. Selon Iri, les ventes de MDD reculent de 1 %, mais elles grimpent de 10,9 % pour les produits économiques, et ce n’est probablement qu’un début. Il y a, bien évidemment, un effet prix. À fin mars, les prix ont bondi de 1,47 % pour les PGC-FLS, de 2,19 % pour les MDD et de 5,5 % pour les premiers prix ! Sans oublier le classique levier de l’offre puisque le nombre de MDD économiques a augmenté de 3,1 % au premier trimestre 2022, et plus précisément de 7,8 % en proximité, de 19,9 % en supers et de 20 % en e-commerce alimentaire. Et pour Iri, la hausse des volumes explique aussi, et surtout, les bonnes ventes de l’entrée de gamme. « Si l’inflation progresse encore, les MDD seront, avec la promotion, au centre des enjeux de l’image prix des enseignes. C’est le produit anticrise par définition et elles seront plus stratégiques que jamais », prévient Rodolphe Bonnasse, président d’Aristid Retail Technology. Reste que la part de marché des premiers prix reste assez faible. « Elle est montée à 2 % en mars contre 1,9 % les mois précédents, mais la MDD économique ne répond pas à toutes les unités de besoin. Elle couvre seulement un quart des produits, c’est-à-dire là où elle est légitime. D’où cette faible part de marché globale », explique Juliette Favre, insights manager chez Iri.

Chez Kantar, on précise que, au premier trimestre 2022, les prix bas ne pèsent que 1,7 % du marché des PGC-FLS. Certes, plus qu’en 2021 (1,4 %) mais guère davantage que 2020 (1,6 %). Et plus concrètement, si les MDD représentent 30,8 % des ventes de PGC, les premiers prix ne font que 5 % de ce total, contre 15 % pour les MDD thématiques et 80 % pour les MDD classiques. « Le sujet fait la une des médias mais cela ne se voit pas encore très fortement aux caisses », observe donc Gaëlle Le Floch. Car pour l’instant, sur ce premier trimestre, les MDD petits prix ne progressent que de 0,7 %. « Mais la dynamique est lancée », reconnaît-elle. Avec, certes, des disparités entre enseignes. Ainsi, Dominique Schelcher souligne à raison la croissance des MDD économiques puisqu’elles bondissent de 3,7 % chez ­Système U, alors que les autres MDD régressent. Mais ce constat n’est pas partagé par tous puisque les premiers prix ne progressent que de 0,3 % chez Auchan ou E. Leclerc. Et, de plus, selon Gaëlle Le Floch, « les ménages à contraintes budgétaires, avec enfants ou adolescents, restent incontournables en matière de MDD économiques, en poids et en évolution ». Pour preuve, dans les ménages qualifiés de « budgets serrés », le poids des premiers prix dans les dépenses MDD monte à 8,5 %, et à 6 % dans les familles avec enfants. Preuve, une nouvelle fois, de l’enjeu et des conséquences du pouvoir d’achat.

Uniformisation et banalisation

Finalement comment expliquer, sur le long terme, ce relatif désamour des Français vis-à-vis des MDD ? D’abord parce qu’au fil du temps, l’écart de prix avec les marques nationales s’est réduit pour atteindre 25 % en moyenne. Alors qu’il était de 35 % en 2013. Ensuite parce que la concurrence est vive. Les enseignes de discount et de déstockage se sont développées avec des marques nationales à des tarifs très attractifs. Quand un consommateur cherche des prix bas, il trouve parfois mieux que la MDD. Qui plus est, les enseignes qui, logiquement, ont la main sur les prix des produits fabriqués à leur marque, répercutent plus vite l’inflation des matières premières sur leurs MDD que sur les marques nationales, qui réclament de repasser par la case négos. Enfin, les distributeurs eux-mêmes n’ont pas toujours défendu avec la plus grande ardeur leurs marques, préférant pousser les petites concurrentes locales, artisanales et plus à la mode.

Résultat, depuis des années, l’évolution des MDD est atypique en France, avec une part de marché beaucoup trop basse dans le retail alimentaire classique. « Qu’on ne me dise pas que les Français n’aiment pas les MDD puisqu’ils y adhèrent dans le non-alimentaire, ou chez des distributeurs spécialisés comme Picard, ou ciblés sur leurs marques propres comme Lidl », explique Philippe Goetzmann, président de Philippe Goetzmann &. Pourquoi cet écart ? « À l’étranger, les distributeurs font leur marge sur les MDD. En France, ils réalisent leurs bénéfices sur le dos des grandes marques nationales. C’est notamment le résultat de trop nombreuses lois, comme la loi Galland de 1996 », poursuit Philippe ­Goetzmann. Avant d’ajouter : « La façon dont Picard ou Lidl travaillent n’a rien à voir avec celle des enseignes d’hypermarchés. Ils ont un sourcing très pointu et un travail de R & D très efficace. Là où des distributeurs ne comptent que quelques dizaines de personnes dévolues à la MDD, des enseignes anglaises, par exemple, en dénombrent plusieurs centaines. Ce n’est pas normal ! » Sans oublier que, trop souvent, les distributeurs ont les mêmes fabricants de MDD et ne cherchent pas à se différencier. Ils travaillent toujours sur appels d’offres avec des fournisseurs qui massifient en fournissant plusieurs enseignes, confortant ainsi l’uniformisation et donc la banalisation des MDD. « Il faudrait que les distributeurs français investissent vraiment sur leurs MDD. Pour eux, l’enjeu est d’attaquer vite et fort sur des catégories de produits pour jouer la carte de la différenciation. Sinon, après la crise, les consommateurs retourneront tout naturellement vers les marques nationales », conclut Philippe Goetzmann.

Autrement dit, si l’inflation atteint les sommets que certains prédisent (7 à 8 %), la vérité d’aujourd’hui ne sera pas celle des prochains mois et les MDD et les premiers prix pourraient fortement progresser. Mais qu’en sera-t-il après, lorsque la valse des étiquettes cessera ?

YVES PUGET