Huile de tournesol : les règles provisoires en cas de changement des recettes

Rédigé le 28/04/2022


Avec le déficit en huiles de tournesol, les demandes de dérogations des industriels pour modifier les recettes de produits agroalimentaires affluent. Le ministère de l’Economie et la DGCCRF viennent de présenter le cadre des futures dérogations qui pourraient concerner plusieurs milliers de produits. Les détails.

Depuis un peu plus d'un mois la tension est maximale chez les industriels qui utilisent de l'huile de tournesol ou des produits dérivés dans leurs recettes. La guerre entre l'Ukraine et la Russie - deux pays qui fournissent 80% de l'huile de tournesol et de ses dérivés (lécithine et tourteaux) à la France selon les estimations de Bercy - provoque un déficit et une tension majeures sur les disponibilités et les prix de cette matière première qui rentre dans la composition très nombreux produits de consommation courante. Au-delà des huiles de table, la liste est en effet très longue, égrène un porte-parole du cabinet de Bruno Le Maire : "margarines, sauces, chips, frites, panification, biscuits, céréales, produits panés, plats cuisinés, conserves à l’huile, etc., sans oublier les produits dérivés comme les lécithines de tournesol. On estime entre plusieurs centaines et quelques milliers les produits qui pourraient être concernés."

Tensions sur les emballages et les stickers

Pour tenter de pallier cette situation et éviter une flambée de leurs prix et de leurs coûts de fabrication de nombreux industriels qui utilisent cette matière première commencent à changer la composition de leur produits et leurs recettes ou l’envisagent. En utilisant notamment d’autres huiles (colza, huile de palmes, graisses animales, etc) et d’autres composants. Problème, toute modification de recette ou de composant doit être spécifiée sur les produits, que ce soit dans la composition nutritionnelle, la liste d’ingrédients ou les allégations inscrites sur le produit et son emballage. Ce qui nécessite, outre l’autorisation des autorités en place, de modifier les indications sur le packaging. Or modifier un emballage, secteur là aussi sous grande tension, prend actuellement entre 3 et 6 mois reconnait Bercy. Même les stickers qui auraient pu permettre une notification simplifiée font défaut. Le principal fournisseur, un industriel finlandais, fait face un mouvement de grève majeur qui a débuté en janvier et pour lequel le préavis court encore jusqu’à la fin du mois ! Bref, il y avait urgence à trouver une solution pour les industriels désireux de changer leurs recettes avant que la hausse des coûts n’affecte trop lourdement leur équilibre économique, tout en préservant la santé et la sécurité des consommateurs. D'autant que les demandes affluent. En quelques semaines, plus de 200 dossiers de dérogations ont été présentés aux bureaux départementaux de la DGCRF. « Dossiers qui portent pour l’essentiel sur des substitutions des huiles de tournesol par des huiles de colza », indique l’Ania.

Une commission ad hoc avec les professionnels et les consommateurs

Tous ces motifs ont décidé les services du ministre de l’Économie en charge de la consommation, on l’oublie parfois, de réunir les principaux acteurs pour tenter de se mettre d'accord sur une procédure dérogatoire qui puisse satisfaire tout le monde. Il y a un mois, une commission a donc été mise en place, réunissant les représentants des pouvoirs publics, des fédérations professionnelles (Ania, Adepale, Coop de France et FCD), ainsi que les principales associations de consommateurs (familles rurales, food Watch, etc). Instance qui continuera à siéger tous les quinze jours pour suivre l’évolution du dossier et suggérer les modifications nécessaires, si besoin, a précisé Bercy ce 26 avril au matin, lors d’un point informel avec les membres de ladite commission, destiné à présenter le dispositif de compromis (voir plus bas) imaginé après une série de réunions de travail.

Au simple site d’information détaillant les modifications des recettes (disponible sur le site de la DGCCRF dès cet après-midi), proposé au départ et plus petit dénominateur commun des discussions avec les parties prenantes, se sont ajoutés au fil des discussions : l’obligation, sans dérogation possible, d’inscrire les modifications qui pourraient avoir un impact sur la santé des consommateurs ou la composition intrinsèques des produits (allergènes confirmés et émergents, présence d’OGM, composants bio…), puis un dispositif en deux volets pour indiquer les changements apportés qui n'ont pas d'influence sur la santé des consommateurs. D’abord, une information simple dans les deux mois qui suivent les changements, via stickage ou gravage additionnel sur le pack (de type « DEROG ») pour spécifier que le produit a fait l’objet d’une modification de recette. Ensuite, une information complète, dans les 6 mois, sur l’emballage, détaillant les modifications apportées via les compositions, les ingrédients ou les allégations.

Pas simple pour les consommateurs

Un dispositif pour lequel les pouvoirs publics mais aussi les fédérations de consommateurs attendent un soutien appuyé des distributeurs afin qu’ils informent au mieux les consommateurs en magasins des changements éventuels et des relais d’information dont ils disposent s’ils souhaitent creuser un peu plus la question.  L’ONG Foodwatch qui siège à la commission a réagi en saluant "l’effort de transparence des autorités" mais alerte "sur le casse-tête de l’accès à l’information pour les consommateurs", au mieux via des autocollants sur les emballages ou via des QR code dans les magasins renvoyant vers le site Internet de la DGCCRF. Sauf que, comme le rappelle Familles Rurales, 14 millions de Français seraient touchés par "l'illectronisme" et donc réfractaires aux smartphones comme aux ordinateurs. Qui va les informer dans ces conditions et comment ? Des points importants sachant qu'on peut imaginer sans mal que la procédure mise en place pourrait servir de modèle si d’autres pénuries de matières premières essentielles dans la composition des produits se faisaient jour. Ce qui risque hélas d’arriver vu le contexte international très tendu et les problèmes de sourcing qu'il génère.

JÉRÔME PARIGI