Arnault, Guerrand-Hermès, Mulliez : ces riches français qui placent leur argent au Luxembourg

Rédigé le 11/02/2021


Selon une enquête du "Monde" en partenariat avec 16 médias étrangers, les Français figurent à la première place du classement des 157 nationalités représentées parmi les bénéficiaires de l'avantageux système fiscal luxembourgeois, avec 17.000 sociétés immatriculées. 37 des 50 familles françaises les plus riches apparaissent dans 627.000 documents comptables réunis par nos confrères.

"La France n'aime pas les riches", professait encore Alain Duhamel ce lundi 8 février sur BFMTV. A lire l'enquête du Monde sur les OpenLux, consacrée aux pratiques d'optimisation et d'évasion fiscales au Luxembourg auxquelles s'adonnent notamment grandes fortunes et grands groupes tricolores, les riches le lui rendent bien.

Quelque 140.000 sociétés actives ont été identifiées au Luxembourg par le quotidien français et les 16 médias partenaires associés à l'enquête. Les investigations de nos confrères montrent que 90% des sociétés immatriculées au Luxembourg sont détenues par des non-résidents, et une société sur trois est une société de participation ou holding dans laquelle sont logés des actifs, bénéficiant du régime fiscal très avantageux du Grand-Duché.

6.500 MILLIARDS D'EUROS D'ACTIFS
D'après les calculs du Monde, ces holdings offshore luxembourgeoises détiennent 6.500 milliards d'euros d'actifs. A titre de comparaison, le PIB de la France en 2019 était, selon l'Insee, de 2.322 milliards d'euros. Les Français figurent à la première place du classement des 157 nationalités représentées parmi les bénéficiaires du système luxembourgeois, avec 17.000 sociétés immatriculées. De grands groupes, comme Yves Rocher, Hermès, JCDecaux ou Decathlon, apparaissent dans ces données.

Côté particuliers, cette radiographie de l'économie luxembourgeoise révèle que 37 des 50 familles françaises les plus riches apparaissent dans les OpenLux, "dont Bernard Arnault, les Guerrand-Hermès ou les Mulliez". Parmi les premiers de cordée amis du Luxembourg figurent Michel Ohayon, propriétaire de La Grande Récré et de Camaïeu, le chef trois étoiles Yannick Alléno - qui affirme avoir rapatrié ses actifs dans l'Hexagone en 2020 -, ou encore le tennisman Jo-Wilfried Tsonga.

"Près de 15.000 Français possèdent des sociétés au Luxembourg, totalisant au moins 100 milliards d’euros d’actifs, soit 4 % du PIB français", écrivent nos confrères. "S’il devait être rapatrié demain en France et soumis à la 'flat tax' de 30 % sur les revenus du capital, ce 'trésor de guerre' pourrait faire rentrer près de 5 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat", expliquent-ils encore. 5 milliards, soit un peu plus que ce que rapportait l'ISF (4,23 milliards d'euros) en son temps.

"627.000 DOCUMENTS COMPTABLES ENREGISTRÉS ENTRE 2010 ET 2020"
D'où viennent les données d'OpenLux ? Il ne s'agit pas d'une fuite, comme pour les "Panama Papers" et les "LuxLeaks" : les médias enquêteurs ont profité d'une directive votée par l'Union européenne en 2018, laquelle oblige les Etats membres à tenir des registres publics des propriétaires réels des sociétés domiciliés dans le pays. De sorte que Le Monde et ses partenaires ont pu "aspirer" du web "627.000 documents comptables enregistrés entre 2010 et 2020". Un tiers environ des comptes des sociétés n'ont pu être récupérés, le plus souvent parce qu'ils n'avaient pas été publiés, et seulement la moitié des bénéficiaires des sociétés ont pu être identifiés.

Le gouvernement du Luxembourg a réagi à ces publications en affirmant que le pays "respecte pleinement toutes les réglementations européennes et internationales en matière de fiscalité et de transparence, et applique toutes les mesures communautaires et internationales en matière d'échange d'informations pour lutter contre les abus et l'évasion fiscales". Le Luxembourg, qui a amorcé un effort de transparence après avoir fait des arrangements fiscaux un sport national dans les années 90 et 2000 (sous la direction du Premier ministre Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne jusqu'en 2019), reste ridiculement en matière d'administration fiscale : "Le registre du commerce ne dispose que de 59 salariés, pour faire respecter l’obligation légale de déclarer les bénéficiaires effectifs de plus de 100.000 entités, et exercer un premier contrôle des déclarations", explique Le Monde.

Quoi qu'en dise le gouvernement luxembourgeois, le démantèlement de ce paradis fiscal au cœur de l'Europe n'est pas pour demain : la moitié des 17.000 sociétés luxembourgeoises détenues par des Français  ont été créées après les LuxLeaks, en 2014. 1.449 ont vu le jour en 2018, 1.484 en 2019, et 1.323 en 2020. A croire que les riches ne retiennent jamais la leçon.

Par Louis Nadau