Vaccination Covid-19 en entreprise : “même si l’employeur est volontaire, il prend des risques”

Rédigé le 12/01/2021


Les entreprises, futurs lieux de vaccination ? Elisabeth Borne souhaite que “le moment venu”, les entreprises fassent “partie intégrante” de la stratégie nationale de vaccination. Mais quelles seront les marges de manœuvre des employeurs ? Éclairage.

Le “moment venu”, les entreprises prendront “leur part dans la stratégie de vaccination”, a indiqué Élisabeth Borne, le 5 janvier sur France Info. Mais comment ces campagnes de vaccination contre le Covid-19 pourraient-elles se dérouler ? Quelle serait la marge de manœuvre des employeurs ?

 

Qui pourra être vacciné ?
La majorité des salariés. Pour la grippe saisonnière, un arrêté de 2017 précise que sont concernées les personnes pour lesquelles “la vaccination antigrippale est recommandée dans le calendrier des vaccinations” en vigueur. À l’exception de celles présentant des antécédents de réaction allergique sévère à l’ovalbumine ou à une vaccination antérieure.

La vaccination sera-t-elle obligatoire ?
L’employeur a l’obligation légale de tout mettre en œuvre pour assurer la sécurité et la santé de ses salariés. Mais tout comme la vaccination antigrippale classique n’est pas obligatoire pour les salariés, celle contre le Covid-19 devrait “reposer sur le volontariat”.

Dans la partie du Code du travail consacrée à la santé et à la sécurité des salariés, l’article R. 4426-6 prévoit que l’employeur est chargé de prévenir tout “risque biologique”. Cet article prévoit deux types de vaccinations : celles qui sont obligatoires, et celles qui sont recommandées. Ainsi, outre les 11 vaccins obligatoires dès l’enfance (1), seuls ceux travaillant dans des secteurs ‘à risque élevé d’infections’  (infirmiers, personnels navigant…) sont contraints de se faire vacciner contre d’autres maladies. Au-delà, l’employeur ne peut donc que “recommander”, sur proposition du médecin du travail, aux salariés de réaliser, “à sa charge, les vaccinations appropriées.”

Tout comme l’employeur restera libre de lancer une telle campagne de vaccination, les collaborateurs pourront refuser de s’y soumettre. Au même titre qu’ils peuvent déjà refuser un dépistage. L’entreprise ne devrait donc pas pouvoir conditionner un retour au bureau à la présentation d’un certificat de vaccination. Ni sanctionner celui qui refusera de se faire vacciner.

Selon Elisabeth Borne, un nouveau protocole sanitaire sera publié jeudi 7 janvier. Une partie de ce protocole devrait s’inspirer de ce qui est fait dans les entreprises avec la grippe saisonnière, ainsi que des tests de dépistage rendus possibles au travail en novembre 2020. “Le législateur pourrait très bien intervenir et modifier la loi, rendant la vaccination contre le Covid obligatoire. Mais ce n’est pas ce que souhaite Emmanuel Macron”, observe Me Alexandre Frech, avocat au Barreau de Paris.

Qui vaccinera les salariés ?
Dans le cadre de la grippe saisonnière, c’est le médecin du travail, ou un infirmier du travail, qui peut réaliser les injections. Suivant un protocole strict. Un service/prestataire tiers qui passe un contrat avec l’entreprise (mutuelles, groupes de protection sociale, instituts médicaux) peut également s’en occuper, sur la base de ce protocole très détaillé.

“Même si la vaccination contre le Covid est intramusculaire et donc facile à faire, le ministère devra préciser qui le pourra : uniquement la médecine du travail, ou des services tiers également”, prévient Me Éric Rocheblave, avocat spécialiste en droit du travail au barreau de Montpellier,

 

Qui paiera les vaccins ?
Pour la grippe, l’entreprise doit prendre en charge le coût du vaccin et de la procédure.  “Le Code du travail prévoit que les vaccinations obligatoires sont gratuites pour les employeurs, mais il n’en est pas de même pour celles qui ne sont que recommandées. Celle contre le Covid devrait donc être à la charge de l’employeur : il faut enlever tout doute sur cette question. C’est l’entreprise qui paiera, du vaccin aux éventuelles infirmières libérales”, note Me Rocheblave.

 

Les entreprises auront-elles accès à un fichier des salariés vaccinés ?
Ce n’est pas le cas avec la grippe saisonnière. Et dans le cas du Covid-19, Elisabeth Borne ne s’est pas dite favorable à la création d’un fichier indiquant quels salariés ont été vaccinés. “Il faut que l’on respecte les principes du volontariat et du secret médical”, a-t-elle insisté auprès de France Info.

Des contraintes logistiques et une obligation de résultats
Me Rocheblave constate que plusieurs contraintes se poseront aux employeurs. À commencer par le maintien à très basse température de ces vaccins. Les entreprises devraient ainsi mettre en place une salle dédiée, prévoir le matériel nécessaire, encadrer la gestion des déchets, planifier les étapes d’achat, de transport et de conservation. “Les vaccins seront-ils stockés dans les entreprises, dans de gros frigos très coûteux ? On peut en douter, en tout cas pour les PME-TPE”, explique l’avocat.

À noter que l’employeur a une obligation de moyens. Il ne peut proposer une telle campagne de vaccination que s’il dispose du temps et des moyens nécessaires pour la mener à bien. “Mais il reste possible, et souhaitable, de proposer au salarié de se faire vacciner dans le cabinet du médecin du travail”, précise Me Frech.

 

Quelles seront les responsabilités de l’employeur en cas de problème ?
La vaccination n’étant pas obligatoire, la responsabilité de l’État ne pourra pas être engagée. Si un dommage est dû à l’injection, le médecin du travail sera responsable. Mais l’entreprise devra aussi répondre financièrement des fautes commises. Et si la vaccination était réalisée par un service tiers, le principe d’accident du travail pourrait être retenu en cas de dommage sur le salarié.

“Si la vaccination se fait à l’initiative de l’entreprise et sur ses recommandations, et s’il y a des problèmes, cela peut engager sa responsabilité. Un salarié pourrait très bien rechercher un accident du travail, en cas d’effets secondaires graves. Tout est envisageable. Si l’employeur est volontaire, en pratique, il prend aussi des risques”, prévient Me Rocheblave.

 Fabien Soyez