Les nuages noirs s'amoncellent sur l'emploi dans la distribution française

Rédigé le 14/09/2020


Entre la difficile adaptation de certaines enseignes dans l’alimentaire et les défaillances d’entreprises accélérées par le coronavirus, le front de l’emploi vacille. Et les suppressions d’emploi se multiplient.

Après le premier plan de départs volontaires de son histoire en janvier (517 suppressions nettes d’emploi pour les sièges groupe et France), Auchan a annoncé cette semaine une nouvelle coupe franche. Cette fois 1088 suppressions nettes sont prévues dans les activités opérationnelles et logistiques en France (1 475 postes doivent être supprimés avec 377 créations de postes en parallèle). La difficile transformation du groupe se fait donc avec un impact non négligeable sur l’emploi. "Pour les salariés pleinement mobilisés durant la crise sanitaire, au risque de leur santé et de celle de leurs familles, cette annonce est un véritable choc !", s’est indigné le syndicat FGTA-FO. Empêtré dans les difficultés depuis plusieurs années, avec un ancrage fort sur le format hypermarché qui n’est pas le plus porteur, pour ne pas dire plus, Auchan (73 000 collaborateurs en France) a fait le choix de redimensionner à la baisse ses effectifs. "Dans ce contexte, et comme il l’a toujours fait, Auchan Retail France souhaite mettre en place un accompagnement exemplaire des salariés", a indiqué le distributeur. Dans un secteur, le commerce, traditionnellement gros pourvoyeur d’emplois, le symbole est marquant. Et Auchan n’est pas le seul à avoir emprunté cette voie. L’emploi, variable d’ajustement ? Carrefour, sous l’impulsion d’Alexandre Bompard, et de son plan de transformation Carrefour 2022, a lui aussi réduit sérieusement ses effectifs. En 2018, un plan de départs volontaires visait 2 400 salariés du siège France. Un PSE touchait ensuite 1300 personnes compte tenu de la vente des magasins ex-Dia. Et l’an dernier une rupture conventionnelle collective, nouvelle disposition de la loi, concernait 3000 départs dans les hypers. Si l’on ajoute les transferts de magasins en location-gérance ou en franchise, Carrefour réduit la voilure. Et à ce rythme, le premier employeur privé de France ne le sera peut être plus longtemps. Les 115 000 salariés recensés dans l’hexagone fin 2017 étaient 110 000 fin 2018, et 105 000 fin 2019. Une baisse de 9% en deux ans. Certes, Auchan et Carrefour ne sont pas les distributeurs les plus dynamiques d’un point de vue commercial des dernières années, et d’autres enseignes embauchent. Mais l’ampleur des suppressions confirmées ou à venir reste d’envergure.

Une deuxième vague de défaillances d'entreprises se profile

Et au delà de ces exemples marquants, un autre facteur n'incite pas à se réjouir sur le front de l’emploi, avec les multiples défaillances d’entreprises dans le secteur non alimentaire. Les derniers mois ont été marqués par une cascade de redressements judiciaires. André, La Halle, Alinéa, Orchestra-Prémaman, Naf Naf, Camaieu pour ne citer qu’elles. Les plans de reprise, souvent partiels, vont laisser des salariés sur le carreau avec une ampleur difficile à mesurer. Malheureusement, les petits ruisseaux font les grandes rivières, et les dizaines, centaines voire milliers de postes amenés à disparaître pour chaque entreprise vont représenter un cumul important. Sans grand espoir de redémarrage de l’activité pour le moment. Et de nombreux économistes prévoient une nouvelle vague de défaillances. Si les entreprises déjà mal en point ont rapidement subi un coup de grâce du fait du coronavirus, des entreprises plus saines ont commencé à voir la situation se détériorer, faute de chiffre d’affaires suffisant ou de trésorerie. Ainsi, la présidente de l’Autorité de la concurrence expliquait à LSA il y a quelques jours "s’attendre à avoir une année chargée en matière de concentrations. Le nombre de dossiers dans le secteur de la distribution est très élevé en ce moment, compte tenu des difficultés rencontrées par de nombreuses enseignes à la suite de la crise sanitaire".

Tous les pays logés à la même enseigne

Au Royaume Uni, selon le Centre for Retail Research, depuis le début de l’année plus de 125 500 emplois ont disparu dans le secteur de la distribution, en même temps que la fermeture de près de 14 000 points de vente. Quelques signes positifs parsèment la litanie de fermetures et licenciements. Ainsi, Tesco entend créer 16 000 postes permanents pour muscler son organisation digitale et soutenir les ventes en ligne qui ont explosé avec le Covid-19. Sur ce total, 13 000 seront ainsi affecté à la préparation de commande (10 000 postes) et à la livraison (3000 chauffeurs). Mais le plus dur est de faire le bilan. Car dans le même temps, Marsk & Spencer a indiqué se séparer prochainement de 7000 salariés sur un total de 78 000. Le patron d’une grande enseigne alimentaire française indiquait pour sa part être effaré des chiffres américains, qui rapportent une baisse de 15% du nombre d’emplois dans le secteur de la distribution outre-Atlantique. Déjà en pleine réflexion sur son avenir, entre la digitalisation et l’évolution de ses modèles, le commerce s’attend à encaisser un nouveau tremblement de terre avec le Covid-19 et ses répliques.

MORGAN LECLERC