Alexandre De Palmas, Carrefour Proximité: «On se met en situation pour tenir encore 2 mois dans cette configuration»

Rédigé le 09/04/2020


Dispositifs de sécurité anticipés avant l’épidémie, changements des flux logistiques entre formats, approvisionnements repensés pour faire face aux succès des petits commerces, cellules de crise et numéros verts… Alexandre de Palmas, directeur exécutif de Carrefour proximité (4 000 magasins) s’est confié à LSA sur la gestion de la crise du coronavirus.

 

LSA : Avec la crise du Covid-19, comment vous êtes-vous organisé ?

Alexandre De Palmas : Les premières alertes nous sont arrivées d'Asie puis d’ l’Italie où Carrefour est présent. Nous avons immédiatement mis en place une cellule de crise avant même le début de l’épidémie en France. Cette cellule, d’abord à Massy au siège puis confinée à son tour, a en charge de piloter tous les aspects liés à la sécurité et la santé de nos collaborateurs et de notre réseau de franchisés.

Cette cellule nous a permis de mettre en place des dispositifs de sécurité sanitaire dans les magasins avec  le gel hydro alcooliques, les gants et maintenant  les masques. Elle a coordonnée l’installation pour ceux qui le souhaitaient des vitres en plexiglas aux caisses ou des dispositifs similaires. Aujourd’hui, 92 % du parc de Carrefour proximité est ainsi équipé. Nous avons aussi référencé des prestataires pour faire la décontamination de magasins lorsqu’ un cas de coronavirus est avéré au sein des collaborateurs de ce point de vente, idem pour le référencement de prestataires pour fournir des thermomètres, les visières…Tous les jours, à 17h30, l’ensemble de cette équipe, regroupant tous les patrons de régions et des patrons logistiques entre autres, se téléphone pour suivre quotidiennement le suivi des mesures et les avancées.

Vous avez un parc composé à 99 % de franchisés, cela complique-t-il le processus décisionnel ?

Nos franchisés sont en effet des chefs d’entreprise, nous les conseillons et  les aidons mais ils décident. Nous avons mis en place un Intranet pour les guider au mieux, qui diffuse tous les jours un bulletin de crise, délivre des conseils sur la santé, relaie les recommandations du gouvernement, les dispositifs concernant le droit du travail…

Avec la crise, nous avons aussi instauré un coup de fil quotidien du conseiller de franchise vers le gérant du magasin afin d’évaluer le moral des équipes et pouvoir répondre aux interrogations. Deux numéros verts ont d’ailleurs été créés, un pour les clients et un pour les franchisés afin de les soutenir psychologiquement, surtout que la crainte peut s’installer rapidement lorsqu’un cas de coronavirus parmi les équipes est avéré, par exemple.

Comment a évolué l’activité des magasins de proximité du groupe Carrefour avec la crise?

A partir du confinement, les ventes en proximité ont connu une forte augmentation. La logistique Carrefour et la force de notre réseau multiformat a permis de réaffecter les flux des hypermarchés vers les supermarchés et les magasins de proximité, ce qu’on avait rarement fait de façon si massive.

Travailler en mode dégradé à supposer pour nous de mettre en place des flux poussés pour certains produits de base comme les pates ou la farine, ce que nous avons fait la semaine dernière par exemple. Nous avons parfois des ruptures ponctuelles en magasins, il y a toute une pédagogie à mettre en place pour l’expliquer aux franchisés d'abord et à la clientèle ensuite. Ce contexte particulier est aussi synonyme de courses plus importantes en proximité. Nous n’avons plus de petits paniers composés d’un sandwich ou d’une bouteille d’eau, beaucoup effectuent désormais toutes leurs courses dans ce circuit, surtout dans les magasins de proximité ruraux.

Globalement, les chefs d’entreprise des magasins Carrefour Proximité ont vraiment une attitude exemplaire et se démènent pour assurer la tenue de leur magasin. Le taux d’absentéisme est raisonnable en magasins, mais pour ces unités composées de moins de huit salariés en moyenne, une seule absence peut chambouler le fonctionnement, les collaborateurs doivent donc se montrer encore plus polyvalents.

Quid de l’assortiment ?

Là aussi, il a beaucoup évolué. Nous nous sommes recentrés sur des produits basiques en renforçant les flux. Nous avons également accéléré le référencement de produits français et locaux. Au niveau local, de nouvelles opportunités ont été trouvées avec, notamment, la fermeture des marchés. Sur notre intranet, nous communiquons tous les jours  sur les nouvelles références et les produits poussés aux magasins. Pour répondre aux courses plus complètes réalisées dans les magasins de proximité, nous avons également enrichi notre offre en proposant plus de références sur une même unité de besoin, notamment en épicerie.

Comment envisagez-vous la suite de la crise ?

Il faut rester très vigilant et attentif sur les sujets sanitaires et de protection des équipes. Le confinement est loin d’être fini, la crise n’est pas homogène sur le territoire et certaines régions pourraient être plus durement touchées dans les prochains jours ou semaines. Le risque est aujourd’hui de relâcher les efforts, on veille pour que cela ne soit pas le cas.

Le deuxième enjeu est de stabiliser la logistique et la livraison de nos magasins. Les volumes et les flux ont été très secoués. Certains magasins, dans l’Est notamment, ont été pénalisés, avec des problèmes de transport liés à l’épidémie. Il faut qu’on revienne à une forme de normalité logistique.

Je pense que nous sommes partis pour plusieurs semaines de très fortes activités en proximité, à nous de nous adapter. Je fais un point téléphonique tous les matins avec mes équipes pour analyser  la situation et écrire la feuille de route de la journée, on devient encore plus réactifs, nous pilotons la situation jour après jour, y compris le week-end. On se met dans une situation où nous allons devoir tenir dans cette configuration-là encore deux mois.

Selon vous, quel sera l’impact sur le long terme ?

Il y aura bien sûr des enseignements à tirer, les crises sont toujours le révélateur de ce qui va, et de ce qu’on peut mieux faire, elles exagèrent tout. On a déjà commencé à travailler à nos retours d’expériences dans ce sens.

Aujourd’hui, nous constatons une vraie modification sociologique des flux, nous avons perdu l’ultra dépannage et gagné, presque, le fond de placard, avec les clients qui font 100 % de leurs courses chez nous. La question est de voir quelle part d’entre eux auront pris goût à ces magasins et continueront de venir faire leurs courses après la crise, notamment en zone rurale où nous faisons actuellement nos plus grosses performances avec l’enseigne Carrefour Contact. Il y a beaucoup de clients qui découvrent la proximité rurale à cette occasion et qui continueront à la fréquenter après la crise. Post crise, je pense qu’il y aura de vrais mouvements entre les différents canaux et les différents circuits.