Un employeur peut-il faire un entretien préalable au licenciement en visioconférence ?

Rédigé le 02/04/2020


Les mesures de restriction de déplacement ne semblent pas, a priori, interdire en tant que telles, la tenue d’un entretien préalable physique, remarquent les avocates Blandine Allix et Marine Palin dans leur chronique.

 

Question de droit social. Les circonstances actuelles liées à la pandémie due au coronavirus conduisent de nombreux employeurs à s’interroger sur la possibilité de recourir à la visioconférence dans le cadre de l’entretien préalable, même si les mesures de restriction de déplacement ne semblent pas, a priori, interdire en tant que telles la tenue d’un entretien préalable physique.

Si la Cour de cassation a eu l’occasion de juger, il y a relativement longtemps, qu’un entretien téléphonique ne saurait remplacer l’entretien préalable prévu par le code du travail (Cass.soc., 14 novembre 1991, n° 90-44.195), semblant ainsi privilégier la tenue d’un entretien physique, elle n’a en revanche jamais statué sur la question de la validité du recours à la visioconférence.

Seuls quelques juges du fond se sont prononcés sur cette question sans parvenir à un consensus. Certains semblent admettre le recours à ce procédé mais ont toutefois jugé l’entretien préalable irrégulier estimant, soit que l’employeur ne démontrait ni la force majeure, ni l’accord du salarié permettant le recours à la visioconférence, soit que la technique utilisée ne permettait pas de s’assurer avec certitude de l’identité des personnes qui y assistent.

Un texte de 1973

D’autres semblent en revanche exclure le recours à la visioconférence dans le cadre de l’entretien préalable aux motifs que le code du travail ne prévoirait pas une telle possibilité, pas plus qu’il ne permettrait de déroger à la tenue d’un entretien physique.

Le recours à la visioconférence en matière d’entretien préalable est donc loin de faire l’unanimité en jurisprudence. Le risque juridique est toutefois limité, s’agissant des salariés non protégés, à une irrégularité de procédure sanctionnée par des dommages-intérêts d’un montant maximum d’un mois de salaire (article L.1235-2 du code du travail).

Un des arguments qui milite contre le recours à ce procédé, est textuel. Il est fondé sur l’article R.1232-1 du code du travail qui prévoit que la convocation à entretien préalable « précise […] le lieu de cet entretien ». Si cette référence au « lieu » suggère la nécessité d’une rencontre physique entre l’employeur et le salarié, il convient de rappeler que ce texte est issu du décret n° 73-1048 du 15 novembre 1973, époque où la visioconférence n’existait pas.

Cependant, le juge, chargé de l’application des textes, peut adopter une démarche pragmatique. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait concernant le recours à la visioconférence pour les réunions du comité d’entreprise ce, bien avant qu’il ne soit prévu par le code du travail (cf. notamment CE, 9 septembre 2010, n° 327250 ; Cass.soc., 26 octobre 2011, n° 10-20.918, tandis que le recours à ce procédé n’a été envisagé par le législateur qu’avec la loi Rebsamen du 17 août 2015 - cf. loi n° 2015 – 994, article 17).

La prudence reste de mise

Aussi, compte tenu des circonstances exceptionnelles auxquelles nous sommes actuellement confrontés, le juge devrait pouvoir justifier le recours à la visioconférence dans le cadre de l’entretien préalable, afin de ne pas restreindre de manière disproportionnée le pouvoir de direction de l’employeur.

Néanmoins, en l’absence de jurisprudence unanime sur ce sujet, la prudence reste de mise. Pour les employeurs qui souhaiteraient, en raison des circonstances exceptionnelles actuelles, avoir recours à ce procédé, il serait préférable de : recueillir tout d’abord l’accord exprès du salarié concernant le recours à la visioconférence ; et de prévoir l’utilisation d’un dispositif permettant d’identifier avec certitude les personnes participant à l’entretien préalable.

Enfin, s’agissant de la question de l’assistance du salarié lors de l’entretien préalable, celle-ci ne devrait pas poser de difficulté particulière puisque « l’assistant » du salarié devrait, tout comme le salarié concerné, pouvoir participer à l’entretien en se connectant à la visioconférence à distance, qu’il appartienne ou non au personnel de l’entreprise.

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