2010-2019 : les hypermarchés piégés par le retour du client

Rédigé le 30/12/2019


LE BILAN DE LA DECENNIE Les grandes surfaces ont prospéré en faisant faire une partie du travail à leurs clients. C'était le libre-service. Internet et Amazon ont introduit un choix incomparable, un accès 24 heures sur 24 depuis son canapé et la livraison à domicile quasi gratuite. Autant de services dont les enseignes ont du mal à financer le coût.

 

Le déclin des hypermarchés illustre la fin d'un modèle. Le 15 juin 1963, Carrefour ouvrait sa première très grande surface à Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne. Trois cartes faisaient une martingale : la localisation en grande périphérie où le terrain est bon marché, tous les produits nécessaires à une famille sous le même toit, de l'aspirateur à la boîte de conserve, des prix bas.

En ce temps-là, les enseignes avaient passé un contrat moral avec le consommateur. Celui-ci effectuait une partie du travail en venant loin en voiture et en se servant lui-même dans les rayons. En contrepartie, les enseignes donnaient accès à une variété et une quantité inespérée pour des Français qui sortaient de la pénurie de l'après-guerre. C'était les Trente glorieuse et la consommation de masse.

La cash machine s'est enrayée

Sur le plan financier, les Carrefour et autres Auchan s'y retrouvaient avec de faibles marges sur de très gros chiffre d'affaires. Pendant quarante ans, les têtes de gondoles ont été des « cash machines ». Avec leurs bénéfices, les groupes sont partis à la conquête du monde. Carrefour s'est ainsi implanté en Belgique, en Italie, en Espagne, au Brésil, puis à Taïwan, en Grèce, en Turquie, au Mexique, en Malaisie, en Chine, en Thaïlande, en Corée du Sud, en Pologne, en Colombie, en Indonésie, au Chili. Vingt ans après les derniers développements, les deux tiers de ses filiales ont été vendues.

Les grandes surfaces spécialisées et l'e-commerce ont vidé les rayons non-alimentaires. Le vieillissement de la population et la métropolisation ont conduit les clients vers les supermarchés de proximité. Mais c'est un autre phénomène qui a fait voler en éclats le modèle jusqu'ici gagnant.

Le come-back du service

Amazon n'a pas importé en France que la vente en ligne et des prix cassés. Le géant de Seattle a réintroduit dans l'Hexagone la qualité de service : deux millions de références à portée de clic, la possibilité de faire ses courses sept jours sur sept, 24 heures sur 24 depuis son canapé, la livraison à domicile. Pour le même prix ou presque.

Les grands distributeurs étaient devenus de grandes chaînes logistiques qui « poussaient » les nouveautés des industriels à des clients captifs. Lorsqu'il est arrivé à la présidence de Carrefour en 2012, Georges Plassat a reconnu qu'il fallait rapidement « remettre le client au centre de la stratégie ». Il était temps. Trop tard en vérité. Le conseil, la livraison et le bio ont un coût que le consommateur habitué au discount et pressuré par les dépenses contraintes ne veut pas acquitter. C'est ce coût du service que les pères de l'hypermarché sont en train de payer.

Philippe Bertrand