Carrefour, Auchan, Casino... les grandes surfaces aussi se mettent aux produits d'occasion

Rédigé le 22/12/2020


Alors que Vinted et Leboncoin cartonnent sur le Net, toutes les grandes surfaces attaquent le marché de l’occasion. Un business très tendance, poussé par la crise, mais ardu à mettre en oeuvre.

"C’est sûr, ça nous change !" Posté dans ses 3 .500 mètres carrés d’entrepôts flam­bant neufs, près de Bayonne (64), Eric Gagnaire n’est pas peu fier. Fin septembre, le cofondateur de Patatam a dû déménager sa petite entreprise pour faire face au succès. Lancée en 2013, sa start-up rachète des vêtements aux particuliers (environ 80 centimes pièce), les inspecte, les trie, les étiquette puis les revend en moyenne 8 euros TTC. Un business qui a encore pris de l’ampleur en début d’année, avec l’arrivée d’un partenaire inattendu : Auchan. «Leurs hypers servent de lieu de collecte et aussi de point de vente, avec un rayon dédié à l’occasion, précise le patron. On leur envoie un assortiment de ­vêtements, avec des tailles et des marques complémentaires (Zara, Promod…).» Et l’affaire fait des émules. «Nous sommes actuellement en discussion avec toutes les grandes surfaces, reprend notre homme. Nous devrions travailler avec elles ces trois prochains mois.»

L’occasion, c’est la nouvelle marotte de nos supermarchés. Alors que Leboncoin et Vinted cartonnent sur lnternet, tous les géants de la grande distribution testent des concepts dits de seconde main (à l’exception étonnante d’Intermarché). Ils y vendent de tout : du textile donc, mais aussi des téléphones dernière génération, des robots de cuisine, des vélos, des bijoux, des sacs de luxe… Du CD de Kim Wilde à la montre Chopard à 7 .500 euros ! Soyons clairs, le mouvement n’en est qu’à ses débuts. Même Leclerc, l’enseigne partie en premier, ne compte encore que 35 points de vente, et toutes cherchent encore le concept idéal : faut-il ouvrir un corner dans l’hyper ou un magasin dans la galerie marchande, se contenter de 50 mètres carrés ou s’étaler sur 500 ? Mais les ambitions ne font aucun doute. «Nous devrions ouvrir une vingtaine de Carrefour Occasion dans les douze mois», nous confie Jean-Baptiste Prévoteau, directeur des services marchands du groupe. «Comme avec le drive plus tôt, ils préfèrent se lancer sans être trop sûrs du modèle idéal plutôt que de rater la vague», explique Yves Marin, associé chez Bartle.

Et quelle vague ! Ce marché pèserait déjà 7 milliards d’euros (source Xerfi), afficherait 5 à 10% de croissance par an, et serait promis au plus radieux des avenirs. «Il est poussé par deux tendances profondes, renforcées par la crise, explique Hélène Janicaud, spécialiste du secteur textile chez Kantar. Un besoin de faire des économies d’abord, une volonté de consommer de manière plus responsable ensuite.» De quoi allécher nos patrons d’hypers, plus habitués à des secteurs atones, qui ne savent pas toujours quoi faire de leurs milliers de mètres carrés… «Ce business coche toutes les cases, ­résume Oli­vier Dau­vers, expert de la distribution. En un rayon, une enseigne crée du trafic, renforce son image prix avec de bon­nes affaires et préserve la planète !» Le tout en gagnant de l’argent : bien sûr, l’activité ne pèse pas encore lourd rapportée au chiffre d’affaires d’un magasin, mais elle est rentable ! «Je crois ­pouvoir tabler sur 6% de marge nette», confie ainsi Jean-Paul Oger, adhérent Leclerc près de Moulins (03).

Point de miracle ­cependant, le métier n’a rien d’évident. La ­plupart des distributeurs préfèrent d’ailleurs s’appuyer sur un pro dans le domaine, Cash Converters (Carrefour…) ou Easy Cash (Cora, Casino…) par exemple. Le principal enjeu ? «Trouver de la marchandise à vendre, c’est le nerf de la guerre, tranche Ronan Pensec, directeur général délégué de Cash Converters. Il faut obtenir les bons produits aux bons prix.» Avant l’ouverture du premier Carrefour Occasion, aux Ulis (91), cinq semaines de travail intense, avec communication sur les réseaux sociaux, tractage dans les boîtes aux lettres, affichage en magasin auront été nécessaires pour inciter les riverains à revendre leurs iPhone, montres ou vinyles. Le jeu consiste à faire rentrer ce qui s’écoule le mieux (téléphonie, jeux ­vidéo, bijoux…), à s’assurer de la qualité de l’objet – les salariés, ­formés durant plusieurs semaines, disposent d’un logiciel pour vérifier les fonctionnalités d’un smartphone, d’une loupe binoculaire pour évaluer la pureté d’une bague… – et surtout à en estimer le juste prix. «Il faut trouver l’équilibre pour convaincre le client vendeur de nous céder le produit, tout en garantissant à l’acheteur de faire une bonne affaire ensuite», précise Joris Escot, directeur géné­ral d’Easy Cash.

Pour évaluer au mieux la cote d’un article, les pros s’appuient sur des bases de données recensant des millions de transactions réalisées dans leur réseau. Histoire de se différencier, des acteurs imaginent en ce moment un système de bons d’achat boosté : ils proposeraient de reprendre un objet contre du cash ou, pour un montant un peu plus élevé, contre un mix de liquide et de coupons à dépenser au sein de l’enseigne. De quoi se montrer plus offrant tout en gardant le chaland dans son écosystème… Reste à faire venir les acheteurs. «Face à l’e-commerce, nos magasins ont un avantage clé, précise David Decovemacker, responsable des partenariats non alimentaires chez Auchan. Ils permettent de voir le produit, d’en vérifier la qualité…» Tous soignent, en outre, une mise en scène plutôt valorisante des articles. Ici, pas de bric-à-brac comme dans une brocante, les articles sont rangés, en vitrine ou sur des présentoirs, accompagnés d’étiquettes bien lisibles. «Nous prenons aussi toutes les précautions pour éviter les produits volés, la notoriété de l’enseigne ne peut être écornée, complète Jean-Paul Oger. Chaque transaction est ­recensée dans un livre consultable par la police.» Et les trouvailles sont garanties au minimum six mois, souvent un an. Attention toutefois, pour les téléphones, la durée de vie de la batterie n’est pas toujours couverte.

Finalement, ces nouveaux corners sont-ils la promesse de bonnes affaires ? Pas facile de trancher, tant l’offre est variée. «Au sein même d’une catégorie, le taux de marge varie selon l’ancienneté du produit, sa rareté, sa popularité…», explique Joris Escot. Au Carrefour des Ulis en tout cas, fin septembre, on trouvait aussi bien un stylo Montblanc à moitié prix qu’une PS4 pas franchement moins chère qu’une neuve… Il n’y a pas de secret, il faut fouiller !

CLAIRE BADER